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22/02/2012

Garzón: les raisons d'une mort professionnelle annoncée.

 

 

C'était couru d'avance; le juge Garzón a été tué professionnellement au terme d'un procès cousu de fil blanc et rose. Neuf juges unanimes, et tous n'étaient pas de droite, lui ont interdit d'exercer sa profession pour avoir "violé" le secret des conversations entre avocats et prévenus emprisonnés, dans le cadre du plus grand scandale politico-financier qu'ait sans doute connu l'Espagne: l'affaire Gürtel. Des millions d'euros de détournements, de pots de vin, de commissions... Un scandale de financement illégal d'élus de premier plan et de dirigeants du parti conservateur (aux actuels relents néo-franquistes), le Parti Populaire.

La pratique d'écoutes avait pourtant été validée par le procureur. L'un des accusés les plus emblématiques, l'ex-président de la Communauté valencienne (Francisco Camps), présenté par les médias progressistes comme un ripoux cinq étoiles, flambeur et condescendant, a été blanchi par un "jury populaire"... valencien. Le juge Garzón, qui a le premier instruit cette trame gigantesque de corruption a, quant à lui, été condamné. "Un mundo al revés". Il sera désormais difficile en Espagne de combattre la corruption. Les jeux étaient faits d'avance, et le rideau de fumée médiatiquement érigé en diversion.

Car c'est en réalité pour d'autres raisons que le juge a été sanctionné... Un deuxième procès l'attendait, ses accusateurs, Mano Limpia et Falange española, deux groupuscules fascistes, dénonçaient la "prévarication" de ce juge tellement gênant, pour avoir, notamment, en octobre 2008, décidé d'enquêter sur la répression franquiste, de la qualifier de "crimes contre l'humanité", donc imprescriptibles, et de mettre en lumière l'existence d'un plan systématique, prémédité, appliqué méthodiquement, d'élimination de l'Espagne républicaine.

Dans son ordonnance de l'automne 2008, répondant à la demande des familles de victimes, des associations mémorielles, Garzón et ses conseillers, les historiens reconnus Julián Casanova, Francisco Espinosa..., évaluèrent à une fourchette comprise entre 100 000 et 150 000 le nombre de républicains "disparus", qui gisent encore dans des fosses communes, et soulevèrent le scandale des enfants volés (30 000) par les franquistes à leurs familles républicaines, pour les "rééduquer". On se souvient qu'un mois plus tard, le juge dut s'auto-dessaisir avant de l'être par Tribunal Suprême et la "Audiencia Nacional". Le franquisme, encore enkysté dans l'appareil judiciaire, réagit à la hauteur de la menace présumée. En réalité, depuis longtemps, les deux grands partis politiques majoritaires ont des comptes à régler avec le juge, et une sorte de consensus s'est créé pour sa mise à mort professionnelle.

Ouvrir les dossiers des disparus, des enfants volés, des "crimes contre l'humanité" du franquisme, c'est selon la rapporteuse spéciale de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats, Gabriela Knau, "être cohérent avec les obligations de l'Espagne d'enquêter sur les violations des droits de l'homme selon les principes du droit international". Cela suppose donc de remettre en cause la loi "d'auto-amnistie" et d'impunité de 1977; elle verrouille tout jugement contre le franquisme, et perpétue la "transition sans rupture", la pseudo-réconciliation sur la base de l'oubli imposé.

Parti Populaire et PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) ont compris que la démarche de Garzón mettait en cause toute l'architecture d'une "transition" frelatée, d'une démocratie bancale, qu'ils ne veulent pas remettre en question. On sait que les secteurs économiques dominants, la finance, les tortionnaires, beaucoup de juges, de militaires, d'évêques, se sont convertis à la démocratie en une nuit. Ce qui m'a frappé en Andalousie, lorsque nous avons ouvert la fosse commune de Santaella, c'est que nombre de dirigeants socialistes d'aujourd'hui, sont issus de familles de "vainqueurs", qu'ils ont tourné la page du franquisme sans vraiment la lire, et que les "intérêts créés" font que la "classe politique" ne veut ni vérité, ni justice, ni réparation pour les victimes du franquisme. 300 000 familles républicaines ont été spoliées de leurs biens; ils ont enrichi le patrimoine de banques, de grands propriétaires, de caudillos phalangistes, etc. Toucher à "la transition consensuée" peut aboutir, et les uns et les autres n'en veulent à aucun prix, à contester le système économique et la légitimité d'une monarchie, enfantée par le dictateur, qui voulait laisser "tout bien ficelé".

Jean Ortiz, Universitaire

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