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19/08/2014

La rue, pavé d'espoir

La rue n'est plus ce qu'elle était

(Ce texte a la modeste ambition de servir de lien entre des photos qui parlent d'elles-mêmes, diaporama sur humanite.fr.)

 

La rue est devenue un théâtre froid sous lequel la lave couve. Lorsque l'on ne fait qu'y passer, on ne la voit pas, la rue; et plus on y passe, moins on la voit. C'est l'im-passe. Jadis, le "pasa calle", le "passe rue", c'était vivant. La rue n'est plus ce qu'elle était: un lien de passage, une vie de lieu. L'univers photographique de Manuel Baena  traduit cette ambivalence.

 

    La rue est devenue  chemin de croix, parcmètre sacerdotal, labyrinthe inquiétant, ruelle sans espoir, artère sans cœur, échelle des inégalités, miroir si déformant qu'il n'en paraît que plus réel. Mais la rue de Manuel Baena revendique, dans le même temps, d'autres rues du possible, d'autres rues porteuses de valeurs altruistes, d'une légitimité perdue.

La rue. Cet espace public aurait dû être déclaré depuis longtemps "bien commun", non privatisable, non aliénable, non publicitable. La rue s'offre désormais à  ceux qui ne s'y ruent pas, aux passants pleins de soucis; aux farcis de pub-com., aux déambulateurs solitaires, ou par deux, encore plus seuls, aux qu'accompagne un animal pour chienne de vie. Les chiens de la rue sont devenus aujourd'hui irrémédiablement tristes, et le chemin des dames ne court pas les rues

Etre à la rue n'est plus une liberté. C'est la rue qui un jour futur doit l'être. Et non l'inverse. Sous le goudron: les pavés. Manuel les a souvent battus. Pour que, déterminée, la rue redevienne la rue, la rue mutine, la rue du champion-nat des grèves, condamnée à avancer, pour le pain quotidien... et nos salaires, et nos retraites,  et le bonheur putain! Au diable les CPE! Droit de retrait! Notre rue n'est la rue qu'en mouvement, collectivisée, manifestante, chaleureuse de manifs restantes, bruyante de discours, de slogans. On veut nous voler la rue ké ta nous! Réinvestissons-la! Les pavés ne s'usent que si l'on s'en sert.

 

Dans l'autre rue, la rue de l'éden individualiste, on ne se déplace pas, on ne parle pas: on fait semblant, on mime. Et à force de mimer l'impossible, les masques finissent par tomber. Le Medef se paupérise. La rue  globalisée n'humanise plus, ne relationne plus: elle soustrait, elle invisibilise. Elle pousse les bistrots et les bric-à-brac sur les trottoirs à péage. Elle longe aussi bien de vieilles pierres habitées que de modernes colombariums sans âme, mondialisés.

La rue libérale n'a plus de coins. Elle ne se suffit plus à elle-même. Elle porte une plaque que l'homme de la rue ne voit même pas, et elle se refuse aux poètes à mots dits.

Le musicien précaire, mal chaussé et placé malencontreusement devant une pub-pompe à fric insidieuse, se retrouve culpabilisé malgré lui. "Si tu ne t'assures pas, ta famille en pâtira..." Et les passants qui préfèrent briser le miroir; détourner le regard du SDF et de son chien. Devant la gare, les chiens des pauvres suscitent toujours la même méfiance...

Au train où vont les choses, les choses que l'on tient pour des valeurs seront bien tôt cotées en bourse. "A votre bon cœur pour le Medef!". Une petite pièce, et encore une. Au train où vont les choses...

A moins que Cendrillon ne prenne le pouvoir et que les citrouilles finissent  par nourrir ceux qui en ont le plus besoin. Le piano du pauvre sortira alors du rang et bondira sur les trottoirs. Vienne le jour où la rue ruera à nouveau dans les brancards.

 

Jean Ortiz

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