28/05/2011
Article sur le "mai espagnol"
(publié dans l'Humanité)
LES TROIS "MAI ESPAGNOL"
Terrible paradoxe que ces trois "mai espagnol".
Le premier, le tsunami "bleu" (couleur des franquistes), des ultralibéraux du Parti Popular, héritiers du franquisme et qui n'ont pas totalement rompu avec lui. Ils ont par exemple refusé de voter, fin 2007, la loi de Mémoire historique, pourtant bien timorée... Ils exultent aujourd'hui. Ils vitupèrent contre ceux qui "veulent ré-ouvrir les vieilles plaies". Au nom du "changement", ils portent un programme à la Tatcher et au parfum des valeurs de la "croisade": unité de l'Espagne, défense de l'Eglise, de la religion, de la famille, de l'ordre... Un programme de réaction sociale sur toute la ligne, de privatisations à outrance (excepté les Pyrénées!!)
Ce premier "mai" des revanchards est la conséquence attendue du mai 2010, lorsque le gouvernement socialiste et son chef, J.L Zapatero, décida de capituler devant les exigences du FMI de DSK, de sabrer dans les dépenses publiques, les budgets sociaux, les salaires des fonctionnaires, de porter la retraite à 67 ans, etc. Un dramatique "tijerazo" (coup de ciseau) social pour obéir aux injonctions des "marchés". Dès lors, la politique de droite était déjà en place. Le PSOE se rallia à une gestion de la crise sur le dos de millions de jeunes sans emploi (45%), de salariés et couches moyennes paupérisés, de précaires contraints à un repas sur deux... Et ce, malgré l'augmentation de 20% des profits des groupes du Cac 40 espagnol, l'IBEX 35.
La colère populaire ne s'est pas traduite électoralment par une poussée de la gauche qui résiste à cette politique d'amputations brutales ("recortes") des budgets de la santé, de l'éducation... mais a provoqué un mouvement inédit, le MAI 2011, le M-15-M, qui ébranle une société malade du capitalisme financier à en crever, et un "jeu politique" espagnol pipé et cadenassé par un système électoral inique et bipartite plein pot, protégeant le système économique et la monarchie. Des dizaines de milliers de jeunes, de précaires, depuis le 15 mai, campent au "kilomètre zéro de l"Espagne", la Puerta del Sol, le centre névralgique; tout un symbole, Sol de soleil, de SOLutions... Ce mouvement des "indignés espagnols", stimulé par les "révolutions arabes", dénonce pertinemment une démocratie caricaturale, de parti unique: le PPSOE, un sigle inventé par les "campeurs", et qui fusionne les deux grands partis de l'alternance. Ils veulent "régénérer" la démocratie pour qu'elle devienne "directe et participative". Ils mettent l'accent sur l'essentiel: "nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers et des politiciens". Ils visent juste en affirmant, sans complexes, qu'il "existe des solutions", que voter et donner un chèque en blanc, "c'est comme faire l'amour tous les quatre ans". Ils appellent à ne plus se complaire dans la "servitude volontaire", à ne plus se taire, se résigner et accepter l'alternance des cravates...
Certes le mouvement est spontané, peu structuré, hétérogène et traversé de courants minoritaires "apolitiques" ou "tous pourris"... C'est l'écume de la vague. La plateforme, qui se précise et s'enrichit tous les jours, est fort pertinente: abrogation des lois injustes sur les "étrangers", de la loi électorale, des accords de Bologne sur la privatisation rampante des Universités. Elle réfléchit à une "démocratie véritable, maintenant". Nombreux sont ceux qui proposent une "Troisième République" sociale et un référendum pour que le peuple espagnol se prononce, des réformes fiscales faisant payer les riches, la nationalisation des banques, le développement des services publics, la séparation totale de l'Eglise et de l'Etat, la "récupération" des entreprises publiques qui ont été privatisées, la réduction du budget militaire, la condamnation des interventions "impérialistes", la récupération de la mémoire historique, la condamnation du franquisme, le salaire minimum à 1 200,00 €, un développement durable...
Ces milliers d'Espagnols qui tentent de faire bouger les lignes accusent, s'indignent, ont raison, et méritent tout notre soutien, lucide. Le système a encore des ressources! Il peut digérer une simple indignation, fût-elle massive. Dans le Mouvement, beaucoup proposent d'aller plus loin, de passer à la résistance, à la recherche de futurs différents et possibles. C'est vrai, disent-ils, qu'il y a beaucoup de "pourris", que les syndicats ont signé un "pacte social" de régression, après une grève générale, que le scandale politico-financier Gürtel, qui implique le Parti Populaire, est sans doute le plus grand de l'histoire de l'Espagne, et que des "ripoux" ont été réélus... Orphelins de perspectives, des milliers d'Espagnols, usés par la gestion de la crise sur leur dos, désabusés, n'en peuvent plus, rejettent le système ou votent pour donner un carton rouge à ceux qui n'ont pas "cumplido". D'autres cherchent, par le M-15-M, une politique et une gauche différentes.
Qu'elle est belle cette jeunesse qui se lève en ce printemps 2011! Et, quel que soit l'avenir du Mouvement, rien ne sera plus comme avant. Il nous montre aussi que lorsque la gauche renonce à être de gauche, le peuple finit toujours par lui présenter l'addition, lourde. Très lourde. A bon entendeur...
Jean Ortiz,
Maître de conférences en espagnol.
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