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19/05/2013

Peut-on constituer une mémoire commune?

 

Peut-on parvenir à une mémoire commune des républicains et révolutionnaires espagnols?

 

Les mémoires de la République et de la Guerre d'Espagne ont revêtu un aspect souvent fratricide. En France, l'exil a renforcé les antagonismes, la guerre des mémoires, et empêché de parvenir à la construction d'une "mémoire commune". Ce terme peut effaroucher, rappeler à chacun des diktats, des blessures, des affrontements, mais "commune" ne signifie pas "unique".

Il ne s'agit pas non plus dans cette démarche, de savoir qui avait raison, qui avait tort, de distribuer des bons et des mauvais points... Laissons aux historiens le recul nécessaire, et le travail scientifique d'approfondissement, de dévoilement, de confrontation, de contextualisation, le recul pour analyser les causes des faits historiques, les rapports de force, les "logiques" à l'œuvre...

S'il convient de respecter le statut spécifique de chacun, historien et/ou militant de la mémoire, je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'histoire et mémoire sont antithétiques, opposées, et que l'histoire est réservée aux seuls historiens de métier et doit prévaloir sur la mémoire.

Si leurs rapports sont forcément conflictuels, histoire et mémoire se fondent, se fécondent et se nourrissent mutuellement, par d'inévitables frictions. Constituer une mémoire commune ne peut se faire sur l'oubli; chacun, communiste, anarchiste, socialiste, poumiste... est structuré par un legs, une transmission familiale, avec ce que cela comporte de récits, de vécu concret mais non exempt de subjectivité. Cette vertébration héritée, nul ne veut, à juste titre, y renoncer. On ne renonce pas à une identité. Mais à partir de ces mémoires, toutes respectables, de ces luttes fondatrices, ne peut-on pas avancer vers une base, la plus large commune et plurielle à la fois, de valeurs et de constats partagés? Dimension antifasciste et internationale de la Guerre d'Espagne, contenu de classe, importance de la "question sociale", expériences révolutionnaires dans plusieurs régions, solidarité internationale, non-intervention très interventionniste, avancées culturelles, artistiques, pédagogiques, féministes, citoyennes ... considérables grâce à la République, et caractère très "réformiste" de celle-ci : réforme agraire très timorée, pas de nationalisation des banques, peur de la "révolution sociale", répression de mouvements paysans ...

 

La mémoire anarchiste est marquée par les "collectivisations", celle des communistes, entre autres, par les Brigades internationales, etc. Pour parvenir à une mémoire commune, on ne peut demander aux uns d'oublier, de renoncer à ces éléments constitutifs, pas plus qu'aux autres de les embrasser. Entretenir une "guerre froide" interminable ne permettra pas d'avancer. Depuis de nombreuses années, les uns et les autres, par notre implication, les témoignages croisés des survivants, de nouvelles archives, une meilleure compréhension réciproque, par un combat partagé contre l'oubli et le révisionnisme, pour faire vivre aujourd'hui les idéaux de nos parents et/ou grands-parents, nous avons appris à nous écouter, à nous enrichir mutuellement.

 

Cette maturation, voire cette hybridation, ont créé désormais des conditions plus favorables pour mettre sur pied une mémoire, la plus commune possible, des républicains et/ou révolutionnaires espagnols. Il serait fâcheux de rester sempiternellement sur des mémoires clivées, de cultiver des ressentiments certes légitimes mais devenus plus accessoires, et de passer à côté d'une opportunité historique, celle que redoutent tous les conservateurs, tous ceux qui souhaitent pérenniser l'oppression, l'exploitation des peuples...

 

Jean Ortiz.

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