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27/10/2013

Voir l'Ardèche et croire aux rêves possibles

 

 Voir l'Ardèche et croire aux rêves possibles

 

   Celui qui n'est jamais allé en Ardèche doit s'ardécher d'y aller. Ce pays a le "duende", ce quelque chose qui vibre entre les pierres, les oliviers; les chênes et châtaigniers, les gorges, les crues, les vieux villages, les cadavres des mines, et qui vous ramène à l'essentiel, au moment même où "le miroir de la vie s'assombrit" (Paul Eluard)

Qui n'a pas traversé le Bois de Païolive, tout près des Vans, ne peut prétendre à l'éternité. Des géants de calcaire montent aussi haut que la végétation du causse. Ils sont là, tour à tour inquiétants, chaleureux, édifiés par le temps et l'érosion. Ils se parlent la nuit. Ces chaos caillouteux préparent demain leur revanche. L'un deux porte une barbe de caillasse blanche. Tel autre se prend pour un ours, un dragon, un guérillero. Ce maquis  essentiel, originel, renferme tant de mémoires qu'elles exploseront un jour.

Et d'ailleurs, une petite commune ne s'appelle-t-elle pas "Prends-toi-garde"? Elle rappelle que le bonheur se gagne, à la volonté, en accrochant aux vieux arbres noueux les "bâtisseurs de ruines". En ce bois, l'abbé Jules Froment, grand occitaniste, rebelle devant l'Eternel, poète crypto-guévarien, venait y méditer dans son "capitaine", sa cabane de pierres blanches.

 

    Au village des Vans, on  boit à jeun de la liqueur de châtaigne, comme pour en rester si marron et ouvrir la porte des Cévennes. Car cette région, du Vivarès aux Cévennes qui guettent, cette Ardèche, elle se gagne. Ici comme ailleurs, malgré les poussées généreuses de champignons, l'art est dans la dèche, et "les intermittents" galèrent. Tu fais quelques conférences subversives, bolivariennes, moraliennes, corréennes, castristes, entouré de rouges, de sacrés cocos, de rouges-verts, du président de "la Conf", du "moi je fais du fromage de chèvres", "moi je suis une "alternative", "moi je suis en Fase", d'enseignants communistes ferratiens re-traités, mais qui ont l'âge jeune de leurs idées, tu manges des ravioles, et l' Ardèche  se donne à toi. Tu chantes en espagnol...mais ils ne comprennent pas. Une coco incapable de chanter "ay,Carmela" doit refaire illico l'école du parti! Une seule fausse note dans ce soviet automnal: mon accompagnateur s'appelle "Blanc".

 

   Ce blanc m'a enivré de paysages et de villages "de carte-postale", Saint-Ambroix, Chassagne, (sans moustaches), Banne et son château fortiche, saoulé de routes hors-saison où ne peuvent se croiser deux attelages. Il m'a provoqué des orgasmes rétiniens. Il a gravé dans mes rétines des mines d'argent. A Largentière, il ne reste que la tour. Au puits de Béssèges, le chemin des mineurs s'incline; une nostalgie de charbon, de cuivre, à Sainte Marguerite, La Figère, tâches rouges jadis...La mine. Le gagne pain des fils de paysans: des semi-prolétaires.

 

   La nuit, le col de l'Escrinet, sombre cordon ombilical entre Privas et Aubenas, angoisse les étrangers; et comme le monde en est plein...Des ombres familières vous tendent le bras droit, vous  saluent à l'ancienne, vous prennent sans doute pour un facho "de gauche", pour un chasseur de pauvres. Et pourtant, les seules gitanes sont celles que fumerait Bernard mon pilote .

Au sommet, 732m, les corbeaux vous croassent que la crise serait "systémique", et patati et pas tata. Et moi: je me mêle de tes amours avec madame corbelle? La ferme, corbeau! Quand on porte un nom comme çà, on le cultive et l'on se tait! Oiseau de mauvaise eau pure, va! En contrebas, les rivières qui parfois se prennent pour des fleuves, coulent aujourd'hui nonchalantes, amnésiques, dans l'attente de la prochaine crue. Le Chassezac, l'Ardèche, en cette saison "basse", enterrent les canoës, les campings, les boîtes à malbouffe, les containers...La garrigue vraie reprend le pouvoir. Là une vielle bâtisse à grandes ouvertures: on y décoconnait les cocons de vers à soie et on envoyait la matière première à Lyon. Faut plus décoconner! Quel dommage! Vite-vite relocalisons, produisons autrement.

 

   La belle Opel Zafira en frissonne. Et que vient faire Chavez là-dedans? Et l'Indien Morales? Je rappelle que François Hollande "n'est pas ma crème de châtaigne", que "sa France" n'est pas la mienne, la nôtre...Au sommet de l'Escrinet, des fadingues tirent sur tout ce qui vole (pas au sens de chaparder). Non, ce n'est pas naturel! C'est l'Europe du fric. "Qué se vaya pal carajo!" La grosse Commission européenne, la scatologique Banque centrale européenne, les tecnokrates de Bruxelles: qu'ils s'en aillent tous "pal carajo!". A la merde!

 Ils donnent du fric empoisonné pour planter des pêchers, puis pour les arracher et les remplacer par de la vigne, de l'olivier...Certains paysans  serrent tant les oliviers, pour chasser le maximum de primes, qu'ils ne produisent pas. L'Europe du fric gère la déprise agricole.

 

   Ce bel pays de fausse cocagne ne se dépeuple plus. Les retraités y reviennent, les Belges font monter les prix de maisons belles comme toi. A Lablachère, "on" a mis des pancartes contre "le plan départemental pour les gens du voyage". La séduisante Basilique et les maisons en pierre calcaire blanc-gris en pleurent de honte. A mille mètres, là-haut, le Tanargue jugera un jour.

 

   Il y a en bas des villages à vous couper la respiration, à y demander l'asile: "Joyeuse", du nom de l'épée de Charles Martel...Ca va, nous sommes rassurés! La rue des artistes attend l'été prochain, le Musée de la Châtaigneraie somnole. Chaque village est classé, comme à l'école de mon enfance. Et Balazuc? Quelle classe! Et ne racontez pas de fadaises aux falaises. Elles surveillent  les rues incroyablement pentues, étroitement caillouteuses - les "calades"- et ce fantastique labyrinthe qui surplombe les gorges engorgées de l'Ardèche. "Inabordables l'été". Des archives du temps, villages, ruelles, sentiers, églises, vierges en cette fin octobre.

    Mon Dieu quel bonheur, mon Dieu quel bonheur, d'avoir un ami qui vous colle, mon Dieu quel bonheur, d'avoir un ami promeneur (politisé). Il va pleuvoir, les sommets cévenols se couvrent de képis noirs, les mains vilaines de Lablachère désormais ne se cachent plus, les noyers ont la gueule de bois....Mais Bernard et ses camarades communistes, progressistes, révolutionnaires, croient à l'utopie les pieds sur terre, au rêve possible, si nous le voulons. Au pays des "castagnes". Alors: à la castagne!

Jean Ortiz

 

 

Commentaires

Sublime! A faire pleurer d'émotion ceux qui gardent au coeur de vieilles racines révolutionnaires ardéchoises...Merci !

Écrit par : Rebelle | 27/10/2013

Magnifique texte !
Sans oublier le subtil équilibre production/protection de ces forêts cévenoles (et d’ailleurs) que nous apprend le formidable engagement du Forestier Georges Fabre et du botaniste nordiste Charles Flahaut qui vont repeupler le Mont Aigual pendant plus de 35 ans (68 millions d’arbres plantés !).
http://marckhanne.free.fr/Aigoual

Merci Jean.

Écrit par : Satyagraha | 28/10/2013

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