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19/12/2013

EDUARDO LE REENCHANTEUR

 

EDUARDO LE REENCHANTEUR

 

Les militants de ma génération portent en eux les traumas de la Guerre d'Espagne comme ceux du Chili de l'Unité Populaire et du "golpe" sanglant, terrifiant, de 1973. Plutôt le fascisme qu'un gouvernement qui affirme son anti-impérialisme, son parti pris de souveraineté...

Le coup de force de Pinochet , ce traumatisme fondateur, eut en France un écho considérable. Allende et l'Unité Populaire bénéficiaient ici d'un capital de sympathie très large.

Depuis juin 1972, nous avions le "programme commun" en mains. Au Chili, ces engagements communs dataient de 1969 .

Depuis 1952, Allende incarnait cet espoir: l'"union de la gauche". Il avait fondé toute sa stratégie et son projet de socialisme par la voie démocratique, de révolution non armée,  sur l'alliance avec le parti communiste, et ce, en pleine "guerre froide".

Son message de réformes anticapitalistes ,de rassemblement et mobilisation populaire, est plus que jamais d'actualité . Le nombre de ceux qui se réclament de l'héritage "allendiste" ne cesse de croître, même s'il y a, dans le lot, quelques Judas.

A La Havane, les exilés chiliens étaient parmi mes meilleurs amis (et ceux de José). Ils avaient transformé l'ambassade en "comité Chili" et j'y passais très souvent partager la colère, la douleur, la résistance et les informations... Eduardo, Mario, Julieta, Marcela, Isabel... de belles rencontres.

 

"L'exil est rond" écrivit Pablo Neruda. On ne revient jamais complètement d'un exil, d'un bannissement, et le retour n'est jamais un vrai retour. Eduardo Contreras, lui, réussit son retour...

Cet avocat devenu un symbole, un drapeau, a un profil de séducteur décalé: petit, bien en chair et quasi chauve. Il a tellement bagarré que même ses sourcils se dépeuplent! Salvador Dali avait raison: la révolution, depuis Marx, est menacée de dégénérescence pileuse.

L'homme était récemment de passage à Pau, à l'invitation du PCO, et avait l'air encore plus petit à côté de l'échassier chevelu qui l'accompagnait.
Du temps de "l'Unité Populaire", le militant communiste Contreras fut député de Chilián... et à la hauteur... de sa charge. Il parvint à s'exiler après le "golpe", pour sauver sa peau. Lorsqu'il rentra à nouveau, il engagea, le 12 janvier 1998, la première poursuite judiciaire contre Pinochet. Il lui fallut dix ans pour convaincre quelques familles de victimes de s'engager dans ce combat : juger les coupables de crimes contre l'humanité, en finir avec la "transition à l'espagnole": l'impunité des bourreaux, le pacte d'amnésie... La terreur tétanisait les victimes de tortures, les familles des disparus...

Il fallait, répétait-on avec mentir-vrai, "tourner la page". Un groupe très restreint d'avocats courageux et deux ou trois juges gagnés à la cause, engagèrent le combat pour "la vérité, la justice et la réparation". Depuis 1998, 71 tortionnaires de la Dina, dont le chef, sont emprisonnés et n'en sortiront vraisemblablement plus...(condamnés à 300 ans de prison). En Espagne: aucun fasciste n'est sous les verrous. 1500 procès sont en cours. 568 autres coupables de crimes contre l'humanité ont été condamnés en première instance...

 

Les militaires chiliens, qui sont encore majoritairement très conservateurs voire pinochétistes, enragent. "On va te faire la peau" lança un jour à Contreras un inconnu croisé dans une rue de Santiago. Et les sicaires passèrent à l'acte. Le 12 juillet 2000 devait commencer le procès afin de "desaforar" , de chasser Pinochet du Sénat. Le dimanche 9 juillet, Eduardo et Rebeca revenaient de la plage...Un piège leur fut tendu et une camionnette Nissan se précipita sur eux. La jambe de Rebeca fut quasiment arrachée, l'artère fémorale sectionnée et l'hémorragie difficile à juguler...Il fallut de longs mois cauchemardesques de reconstruction...et je passe sur les détails les plus horribles.
Eduardo et Rebeca ne renoncèrent à rien et, tranquillement, reprirent leur combat de plus belle. Il y a un mois, un groupe paramilitaire d'extrême droite ,"Justice véritable", (sans doute lié à la Marine), à la veille d'élections présidentielles gagnées par une coalition dont font partie les communistes, proféra  contre Eduardo et quelques autres "valientes", de nouvelles menaces de mort. "Je les mérite" dit l'avocat communiste en plaisantant. Il en est fier, mais prend cependant quelques  précautions. Demain peut-être, des ministres communistes relaieront son engagement pour les Droits de l'homme et de la femme, pour "réenchanter le Chili".

Jean Ortiz

14/12/2013

De Grasse libérez-moi!

 

De Grasse libérez-moi!

 

J'ai été pris en otage trois jours du rang par le "Feu-Teu-Meuh": le Festival TransMéditerranée de Grasse.

Sur ce bout atypique de Côte d'Azur, socialement mixte, on cultive encore la solidarité internationale et le partage de la culture. Une équipe de "ringards" y déconstruit les rapports de domination, d'aliénation, et fabrique de la "socialisation", retisse les liens  mis à mal par l'ouragan néolibéral dévastateur. A mon trop humble avis: cette "ringardise" courageuse a de l'avenir.

Je ne connaissais de Grasse que sa géo-localisation; je n'étais pas au parfum de ses essences, de l'industrie jadis florissante et prestigieuse des dits parfums, des arômes alimentaires...

 

J'ai "détrainé" la veille à Cannes, avec mon allure de mastodonte mal-léché, allergique au fric et à la frime.  J'ai tenu à monter seul des escaliers froids et impersonnels, semblables à tous les escaliers, avec pour tapis rouge mon manteau noir; m'imaginant au bras de la mythique Flora Trabuco... A la Libération, les ouvriers de la CGT et du PCF mirent les bouchées doubles pour que le Festival redémarre. La Croisette sans le "fun", le "m'as-tu vu", le people, la mousse, les paillettes... est peu de chose à côté d'un front de mer cubain.

 

 

Je suis ensuite arrivé à Grasse, sous un ciel d'une luminosité liquide. Un bleu de Klein. J'ai ressenti le "flechazo" (coup de cœur) que l'on éprouve lorsque l'on croit aimer, et vécu des moments rares de grâce, de "duende" éphémère et définitif.

Je devais dans quelques heures parler du Chili qui, c'est bien connu, a une longue frontière méditerranéenne..."L'exil est rond" disait Neruda; il aurait aimé que Christophe Colon découvrît l'Europe. Dans cette ville au charme de corps, Fragonard a vécu. Rubens expose la souffrance à la cathédrale.  A quelques kilomètres de Grasse, Fernand Léger anti- muséifie superbement sa confiance dans les constructeurs, les bâtisseurs d'aurores nouvelles à accomplir.

 

Je suis accueilli au Festival TansMéditerranée et accompagné par une déesse (à défaut de Simca 1000) aux cent bras, une Marie Chantal qui tour à tour joue l'histrionique, s'érige en Diane commanderesse, en cuistode "d'empanadas" chiliennes, enrégimente, perd les clés de sa voiture, te fait marcher à la vitesse d'un adolescent sportif. De sa voix fluette, elle salue tous les grassois et ssoises.

Le président du Festival est lui aussi "un personnage", chaleureux, charismatique, profond. Un homme aux fortes convictions humanistes, apprécié par la population.

Au Palais des congrès, les Chiliens de Paris ont monté une expo-jeu de miroirs; un dialogue réussi, douloureux et accusateur, entre peintres et poètes de l'exil chilien. Quant à moi, j'ai dû toréer "al alimon" avec un petit-grand bonhomme, avocat chilien (barbu mais chauve) des Droits de l'Homme: Eduardo Contreras. Il déposa le premier recours judiciaire contre Pinochet et a réussi récemment à obtenir l'exhumation des restes de Pablo Neruda. Nous sommes complices depuis tant d'années...Je le traduis tellement fidèlement que parfois le public s'esclaffe. Ce public du Festival est curieux, averti, informé. 26 ans de F.T.M!

 

Le quotidien "Nice-Matin", rend compte de la dernière séance du conseil municipal, haute en couleurs et en symboles. L'opposition (communistes et socialistes) a refusé de siéger. Et le sénateur-maire (maire depuis 20 ans), a dû surveiller prostates et vessies pour obtenir le quorum à chaque vote. Le conseil a décidé, entre autres, de faire payer dix euros l'entrée du prochain concours "Miss Grasse". Cela sent vraiment la fin de règne; la République bananière. Les loups ne sont pas que dans le Mercantour.

Lui, éclat de montagne, on l'aperçoit, au loin, emmitouflé de neige.

Il n'en pense pas moins...

Jean Ortiz

08/12/2013

L'excellence universitaire

 

L'Espagne est la meilleure élève des processus de Lisbonne et de Bologne. Elle excelle en matière de "mobilité" étudiante et enseignante!!  Des milliers de jeunes diplômés sont contraints de quitter leur pays, où le taux de chômage chez les jeunes atteint désormais 37%. Fuite de cerveaux, hémorragie de toute une génération, déracinement, exil... Le phénomène gagne même les chercheurs, les scientifiques... La vente des valises a explosé! Les voyages forment jeunesse et âge mûr... En six ans, selon "l'Observatoire du système universitaire", le coût des formations en fac a augmenté en moyenne de 291%. Hallucinant!

Les "recortes" (coupes austéritaires) ont, en 2012, détruit 5976 emplois universitaires en Espagne, selon des données officielles du ministère des Finances et des Administrations publiques (août 2013). Depuis janvier 2012, 4221 postes d'enseignants-chercheurs ont été rayés de la carte, ainsi que 1655 postes de personnels de l'administration et des services. Les sabreurs taillent à la tronçonneuse dans la santé, l'éducation, les budgets sociaux, les dépenses publiques...


Merci la crise!! Elle a bon dos! Elle est prétexte au remodelage "libéral" de tout le supérieur. Et en plus, elle rapporte gros aux déjà gros, la crise. Les autres, la majorité, payent la note.
De nombreux "professeurs associés" ont vu leur salaire amputé et beaucoup d'universités ne peuvent même plus leur payer toutes leurs heures.
Les frais d'inscription en première année ont augmenté de 66,7% en 2012, et le nombre des  bourses a fondu comme glace cantabrique au soleil. 30.000 étudiants sont menacés "d'expulsion" pour ne pas avoir pu payer la totalité des droits d'inscription; 100.000  se retrouvent dans une situation d'extrême précarité. L'université espagnole chasse efficacement les pauvres et devient de plus en plus "élitiste", sur des bases de classe.

 

Encore une fois, le PSOE et le néo-franquiste parti populaire, auront bien mérité de Lisbonne et de Bologne, de l'Union européenne, de la "troïka"... La destruction de l'université-service public, déjà bien entamée, s'est accélérée, de la Catalogne à l'Andalousie, en passant par Madrid, Saragosse, Burgos... "Regardez travailler les bâtisseurs de ruines" (je crois que c'est d'Eluard, dans les années 1930).
Que vaut cette Europe qui mutile le savoir, paupérise l'enseignement, marchandise à tour de bras, démolit les services publics, aggrave les inégalités, et ne roule que pour le fric?
Des clous! Seule une rupture avec ces logiques prédatrices peut permettre de renverser l'omelette.

Jean Ortiz